L’Egypte a toujours fait rêver, par ses célèbres pharaons, ses sites exceptionnels, ses hiéroglyphes, mais aussi la momification. Helmi Boutros, curateur de musée et fervent passionné d’égyptologie, revient en détail sur ce procédé qui avait pour objectif de conserver le corps d’une personne décédée dans un parfait état.
L’apparition de la momification dans l’Égypte ancienne
La momification serait apparue dans la religion égyptienne lorsque le dieu Anubis, représenté avec une tête de chacal, aurait sauvé Osiris en l’entourant de bandelettes de lin, lui évitant une putréfaction certaine.
C’est d’ailleurs de cette histoire qu’est né l’intérêt pour la momification des Égyptiens.
Le retour à la vie d’Osiris
La légende raconte qu’Osiris était un souverain très éclairé, qui était jalousé par son frère Seth. Victime d’un complot de ce dernier, le roi se retrouva enfermé dans un coffre qui disparut dans les ramifications du fleuve Nil avant d’être retrouvé en Phénicie par Isis, la sœur des deux frères. Celle-ci ramena Osiris en Égypte et le garda caché jusqu’à ce que Seth lors d’une partie de chasse le remarque et le fasse capturer avant de le découper en quatorze morceaux qui seront éparpillés dans toute l’Égypte. Isis repartit en quête des morceaux de son frère et réussit à les rassembler à l’exception d’un, qui selon les interprétations des historiens aurait été mangé par un poisson du Nil.
Isis reconstitua ensuite le corps d’Osiris et demanda l’assistance d’Anubis pour le momifier. Le rituel impliqua la déesse magicienne Isis et sa sœur Nephtys, Thot le vizir du roi défunt et d’Horus le fils d’Osiris. À la fin des prières, Osiris avait reçu le souffle de la vie et accédait à la vie éternelle. C’était la première fois que les rituels d’embaumement destinés à rendre un être éternel étaient pratiqués en Égypte.
Le roi défunt devint alors le dieu des morts et du recommencement de la vie. Anubis, son neveu devint le patron des embaumeurs. C’est d’ailleurs pourquoi les prêtres embaumeurs portaient toujours un masque de tête de chacal afin de représenter et d’invoquer la protection d’Anubis.
Une pratique accessible aux classes supérieures et moyennes
On peut dater l’usage de la momification dès 2400 avant Jésus-Christ. Il faut savoir qu’à l’origine, la croyance voulait que seuls les pharaons aient accès à l’immortalité. Pourtant, à partir de 2000 avant Jésus-Christ, il apparut que toute personne pouvait accéder à l’au-delà grâce à la momification, et si les rituels étaient bien respectés, notamment par le biais des prières du Livre des Morts. Toutefois, Helmi Boutros nous rappelle que seuls les riches égyptiens pouvaient se le permettre.
Cependant, le rituel est devenu au fil du temps plus commun, et de nombreux ateliers indépendants ont commencé à offrir leurs services aux familles des défunts. Dès ce moment, les techniques d’embaumement, ainsi que la nature des sarcophages variaient en fonction de l’argent que les proches du défunt étaient prêts à dépenser.
Les étapes de la momification
Des embaumeurs procédaient à différentes étapes afin de préparer le corps à la momification. Il s’agissait de personnes spécialisées, car les rituels étaient nombreux et complexes. À cette époque, on retrouvait ainsi les paraschistes qui s’occupaient de l’incision du corps et de l’extraction des viscères. Les taricheutes intervenaient ensuite pour saupoudrer le corps d’ingrédients avant de procéder au salage, avant de laisser ce dernier aux coachytes qui devaient s’occuper des libations et prières.
Le prélèvement des organes
Tout d’abord, l’embaumeur s’attelait à laver le corps, à le raser, puis à le purifier avec de l’eau sacrée. Une fois cette étape réalisée, il devait ensuite prélever les organes à l’aide de divers outils. Cette étape est importante pour limiter la putréfaction du corps. Selon certains historiens, la pratique aurait été inspirée des chasseurs et des bouchers qui prenaient pour habitude de retirer les viscères, une fois un animal mort.
Toutefois, le prélèvement des organes n’était pas un acte anodin, puisqu’elle relevait d’un certain tabou inscrit dans les textes de l’écrivain Diodore. L’embaumeur chargé de cette étape était d’ailleurs chassé à coups de pierre par ses collègues dans certains rituels comme pour le punir d’avoir touché à l’intégrité du mort. Pour autant, la pratique était nécessaire et les outils présents sur les tables d’embaumement avaient chacun un rôle précis.
Par exemple, un couteau en métal servait à ouvrir l’abdomen afin d’enlever le foie, les intestins, l’estomac et les poumons. Une longue tige de bronze, dont le bout était recourbé, servait à retirer le cerveau. L’embaumeur nettoyer ensuite ces organes à l’aide de vin de palme, pour enfin être déposés dans quatre vases, des canopes en calcaire, en calcite ou en argile, à l’effigie des quatre fils d’Horus. Dans le vase à tête humaine d’Amset étaient placés l’estomac et le gros intestin. Dans celui de Hâpi, représenté par une tête de babouin, l’embaumeur plaçait le petit intestin, et réservait les poumons au vase de Douamoutef, orné d’une tête de chacal. Pour finir, le foie et la vésicule biliaire allaient dans le vase de Kébehsénouf qui est orné par une tête de faucon. Il est à noter que les viscères étaient parfois empaquetés puis replacées dans le corps et que le cœur était le seul organe préservé.
Les croyances attribuaient à cet organe un rôle important dans la résurrection, puisqu’il était pour eux, le siège de la conscience, de la vie et des sentiments. Si cet organe arrivait à être retiré par mégarde pendant que les poumons étaient enlevés, il devait être momifié à part avant d’être replacé dans la cage thoracique.
À cause de l’ouverture sur le flanc du corps pour retirer les organes que certains historiens jugeront de camouflage du sacrilège, l’opération pouvait se révéler parfois assez difficile pour les paraschistes. Ceux-ci devaient dans certaines situations faire entrer leurs coudes dans le corps du défunt pour trouver les organes. Toutefois, les méthodes pouvaient varier. Les princesses de la famille de Montouhotep II autour de 2000 avant J.C auraient ainsi subi un prélèvement anal des organes, ce qui a permis au processus de momification d’apporter de bons résultats.
Une autre technique permettait d’éviter le retrait des organes par l’injection d’un liquide corrosif qui dissolvait les intestins pour enrayer la putréfaction. Ce procédé était utilisé pour les familles qui n’avaient pas les moyens de se payer l’intervention d’une équipe d’embaumeurs. Il était ainsi recommandé pour les cas de momification rapide.
L’étape de la déshydratation et du remodelage
L’embaumeur recouvrait ensuite le corps d’un sel, appelé natron, afin de dessécher la chair et conserver le corps. Il s’agit d’un puissant désinfectant composé de sel (carbonate de sodium) et de bicarbonate de soude, qui était extrait des rivières asséchées. Cette opération était particulièrement longue, plusieurs semaines, et parfois jusqu’à 70 jours, afin d’ôter toute l’humidité du corps. Certaines archives relatent l’histoire de la reine Meresankh III, épouse du Pharaon Khephren, qui a ordonné la construction de la grande pyramide de Gizeh. Selon les documents officiels, sa momification aurait duré 274 jours.
Après avoir passé le cadavre par les différentes étapes de la procédure d’embaumement qui peut varier en fonction de la classe sociale du défunt, le corps peut repasser par un remodelage qui peut être utile dans certains cas pour redonner une forme plus naturelle au corps. Une fois parfaitement desséché, le corps était ensuite rempli et enduit de plusieurs substances, comme de la gomme de cèdre ou encore de la myrrhe. Des bouts de tissus, de la sciure de bois ou de la boue du Nil pouvait également être placés dans les cavités afin de rendre le corps plus souple, tandis que des tampons de lin ou de petits oignons pouvaient remplacer les yeux. Cette étape de la momification est appelée le remodelage.
Si le mort avait une position élevée dans la société, il avait de nombreuses parures, comme des bijoux ou des perruques. Le corps est ensuite entouré de bandelettes de lin, imprégnées au préalable avec de la gomme arabique, dans lesquelles des amulettes sont placées afin d’apporter une protection au mort dans l’au-delà. Un masque funéraire est placé sur la tête du défunt, puis la momie est alors placée dans un sarcophage, qui va lui-même être déposé dans un tombeau (hypogée, pyramide ou mastaba).
Les familles les plus riches pouvaient se permettre de faire enterrer leurs proches dans des tombes scellées. Cet aspect était important pour préserver toutes les étapes effectuées pour conserver le corps. En effet, la momification ne constituait pas une transformation assez poussée pour conserver un état de putréfaction permanent. Pour assurer de manière définitive cette stabilisation, il fallait que la momie soit enfermée dans un cercueil, qui devait à son tour être placé dans un sarcophage avant d’être scellé dans un tombeau à l’abri des pillards. C’est aussi pour cette raison que les tombes de certains pharaons étaient remplies de pièges pour empêcher les pillards de ruiner le repos éternel des pharaons qui devaient devenir des dieux dans leurs secondes vies. De même, les familles devaient veiller à ce que la dernière demeure de leur défunt ne souffre pas d’infiltration d’eau, un risque qui même s’il était assez rare dans cette région aride, n’était pas inexistant.