Le coût humain des conflits armés et leur impact sur l’éducation, l’analyse de Denis Bouclon

École détruite lors de conflits armés

Morts, blessés, destructions de villes… lorsque l’on parle de conflits armés, on a souvent en tête ces images de violence. Pour autant, les véritables coûts humains sont bien plus complexes… Certes, il y a les conséquences visibles – les vies fauchées, les blessures physiques, les traumatismes psychologiques – mais ce n’est qu’une partie du tableau. Car il faut savoir que les conflits détruisent aussi les fondations invisibles que sont les systèmes alimentaires, les infrastructures sanitaires et, surtout, l’éducation !

Denis Bouclon explique que l’éducation est l’un des domaines les plus touchés et, paradoxalement, l’un des moins abordés quand on parle des conséquences des conflits. Pourtant, l’impact est colossal : des générations entières se retrouvent privées de toute instruction, et sans éducation, le développement humain et économique est compromis. Il s’agit d’un cercle vicieux, en cela que la guerre détruit l’éducation, et l’absence d’éducation alimente la pauvreté et l’instabilité, ce qui, à son tour, favorise la prolongation des conflits. Décryptage !

Des chiffres alarmants

Les chiffres sont particulièrement éloquents : selon l’UNICEF, environ 258 millions d’enfants ne sont pas scolarisés dans le monde, avec une proportion inquiétante provenant de zones de conflits ! Au Yémen, la guerre civile a laissé 2 millions d’enfants sans éducation. Denis Bouclon affirme que cette situation condamne ces enfants à un avenir sombre, où ils risquent d’être exclus de toute forme de participation économique et sociale.

Enfant non scolarisé

L’exemple de la Syrie est tout aussi frappant. Selon un rapport de l’UNESCO (2021), la guerre a détruit plus de 700 écoles, et 2,4 millions d’enfants ne peuvent plus aller à l’école. Ce sont des chiffres choquants, mais Denis Bouclon pense que les véritables coûts sont encore plus élevés : ces enfants, privés d’éducation, seront des adultes qui ne pourront ni subvenir à leurs besoins ni contribuer à la reconstruction de leur pays. Pire encore, ils seront vulnérables aux manipulations et à la radicalisation.

L’effet domino : l’éducation et le développement humain

Le lien entre éducation et développement humain est indéniable, et à ce niveau, Denis Bouclon explique que les conflits entraînent une chute de l’Indicateur de Développement Humain (IDH), qui mesure des facteurs comme l’espérance de vie, l’accès à l’éducation et le niveau de vie. En 2020, le PNUD a indiqué que les pays ayant un faible développement humain étaient en grande majorité ceux qui avaient connu des conflits prolongés. Il paraît évident que quand les enfants ne vont plus à l’école, cela impacte directement la productivité future d’une nation.

Prenons le cas de la République Centrafricaine, un pays ravagé par la guerre civile. Selon l’UNESCO, le taux de scolarisation y est tombé à 53 % en 2021, l’un des plus bas du monde. Ce genre de situations catastrophiques met en relief que l’absence d’éducation est à la fois une conséquence et un facteur de prolongation du conflit. En effet, une population sans éducation est plus facilement manipulable, moins capable de s’organiser pour exiger la paix ou participer à la gouvernance.

Mais les conséquences ne s’arrêtent pas là… La perte de scolarité affecte également la santé publique et les conditions de vie. Toujours selon le même rapport de l’UNESCO (2021), chaque année de scolarisation supplémentaire augmente l’espérance de vie de 0,37 an en moyenne. Ainsi, l’éducation est donc non seulement un vecteur de développement économique, mais aussi un facteur de bien-être général.

L’éducation, première victime des conflits selon Denis Bouclon

L’éducation n’est pas seulement un droit fondamental, c’est le socle de toute société développée. Or, en période de guerre, ce socle s’effondre littéralement. Les infrastructures scolaires sont détruites, les professeurs fuient ou sont tués, les enfants ne peuvent plus se rendre à l’école. Les parents, eux, ne prennent plus le risque d’envoyer leurs enfants en classe, de peur des attaques.

Prenons l’exemple de la Colombie. Denis Bouclon rapporte que dans les zones contrôlées par les groupes paramilitaires ou les rebelles, le taux d’abandon scolaire atteint des sommets. Ce phénomène est loin d’être unique : au Mali, où le conflit armé s’intensifie, l’UNESCO indique qu’environ 1 500 écoles ont dû fermer leurs portes en 2021 en raison de l’insécurité, touchant plus de 400 000 enfants. Dans ces régions, l’impact disproportionné que ces fermetures ont sur les jeunes filles, souvent exclues en priorité lorsque les tensions montent.

L’insécurité liée aux conflits exacerbe aussi les inégalités de genre. Même dans les camps de réfugiés où une éducation minimale est parfois possible, l’insécurité empêche les jeunes filles de se rendre en classe. Plus l’éducation des filles est entravée, plus les conséquences à long terme sont dévastatrices pour le développement des sociétés.

Réinventer l’éducation en période de crise

Dans un monde où les technologies et les connaissances évoluent sans cesse, Denis Bouclon affirme qu’il est impératif de repenser l’éducation, surtout en situation de crise. Depuis le début du 21e siècle, des efforts ont été faits pour inclure l’éducation dans les priorités des réponses d’urgence. Le Forum mondial de Dakar, en 2000, a déjà tiré la sonnette d’alarme : les systèmes éducatifs doivent être protégés en temps de crise, que ce soit en cas de conflit armé ou de catastrophe naturelle. L’éducation ne doit pas être reléguée au second plan.

Enfants accompagnés de leur parents dans une école de zone de conflits

L’UNESCO, à travers ses quatre piliers de l’enseignement — apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à être, et apprendre à vivre ensemble — offre une base solide pour refonder l’éducation dans les situations d’urgence. Ces quatre piliers permettent aux enfants de reconstruire leur autonomie, de développer leurs compétences personnelles et collectives, et surtout de surmonter les traumatismes dus aux conflits.

Les compétences de vie, clé de la résilience

Au-delà de l’apprentissage académique, les compétences de vie (« life skills ») sont essentielles pour surmonter les crises. Ces compétences, qui incluent la résilience, la gestion du stress, et la capacité à s’adapter, permettent aux enfants et aux adultes de faire face aux difficultés. Ce concept, d’abord introduit par l’UNESCO dans les années 1990, est aujourd’hui plus pertinent que jamais. En renforçant ces compétences, Denis Bouclon estime que les systèmes éducatifs en temps de crise peuvent véritablement jouer un rôle dans la prévention des futurs conflits.

Dans des contextes aussi difficiles que ceux des camps de réfugiés, où l’avenir paraît souvent incertain, ces compétences de vie sont essentielles pour permettre aux enfants de surmonter les défis. Citons des initiatives comme celles menées par l’UNICEF dans les camps de réfugiés syriens au Liban, où les enfants bénéficient de cours qui les aident à acquérir des compétences scolaires, mais aussi à renforcer leur résilience face à l’adversité.

Reconstruire grâce à l’éducation ? C’est possible !

Bien que la situation paraisse désespérée dans certains pays, il existe des exemples encourageants de reconstruction dont on peut s’inspirer. C’est notamment le cas au Rwanda, un pays qui a fait de l’éducation un pilier de sa reconstruction après le génocide de 1994. En investissant massivement dans l’éducation, avec l’aide de partenaires internationaux comme la Banque Mondiale, le Rwanda a réussi à porter son taux de scolarisation à 98 % en 2020. C’est une preuve que même après des conflits dévastateurs, il est possible de rebâtir un système éducatif solide. La clé de cette réussite ? Elle réside dans l’investissement à long terme, couplé à la volonté politique. Des fonds sont nécessaires pour reconstruire les infrastructures, former les enseignants, et garantir que l’éducation reste accessible à tous, même en période de crise.

L’éducation comme outil de prévention des conflits

Couverture du livre "L'éducation en situation de post-conflit" de Denis Bouclon

Enfin, Denis Bouclon rappelle que l’éducation est aussi un outil de prévention des conflits, car une population éduquée est mieux équipée pour résoudre les tensions sociales sans violence. Les « Quatre Piliers » de l’éducation définis par l’UNESCO, précédemment évoqués, sont essentiels pour construire une société résiliente. En investissant dans l’éducation, même en période de crise, il est possible d’éviter que les jeunes générations ne tombent dans le piège des conflits et de la violence.

L’éducation post-conflit, un chantier pour la paix durable

Lorsqu’un conflit s’éteint, il laisse souvent derrière lui des ruines, non seulement physiques, mais aussi sociales. Or, la fin des combats ne signifie pas la fin des problèmes ! La reconstruction d’un pays, notamment sur le plan éducatif, est un processus de longue haleine. Denis Bouclon est d’avis que l’éducation doit être un chantier prioritaire dans les phases de reconstruction post-conflit, car c’est elle qui permet de construire une paix durable.

Prenons l’exemple de la Bosnie-Herzégovine après la guerre des Balkans. Selon un autre rapport de l’UNESCO (2019), bien que la guerre soit officiellement terminée depuis plus de 20 ans, la reconstruction du système éducatif a pris du temps. Car il ne s’agit pas seulement de reconstruire des bâtiments, mais de réinstaurer la confiance, de réparer les divisions ethniques et de réformer les programmes scolaires. Denis Bouclon explique que l’éducation post-conflit ne consiste pas seulement à reprendre là où on s’était arrêté, mais bien à repenser un modèle inclusif et durable.

Par ailleurs, l’une des questions clés après un conflit est la réconciliation. Denis Bouclon met en avant le rôle fondamental de l’éducation dans la guérison des blessures sociales. Des programmes spécifiques, axés sur la tolérance, le dialogue et la paix, sont indispensables pour éviter que les tensions ne renaissent sous une nouvelle forme. Les jeunes, qui ont souvent grandi dans un contexte de haine et de violence, doivent être éduqués à la coexistence pacifique. C’est d’ailleurs ce qui a été fait au Rwanda, où des cours de « réconciliation et unité nationale » ont été introduits dans les écoles, avec des résultats encourageants, selon un rapport de la Banque Mondiale en 2020.

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