C’est un fait, avec ses 852 kilomètres de littoral, le Nigéria possède la plus longue côte d’Afrique de l’Ouest. On pourrait croire que cette position stratégique fait du pays un poids lourd du commerce maritime dans la région. Pourtant, derrière cette façade prometteuse se cache un secteur portuaire engorgé, en quête de compétitivité. Les défis sont nombreux, mais les ambitions le sont tout autant, avec une série de projets qui pourraient enfin libérer le potentiel du géant nigérian. Décryptage avec Joris Dutel !
Des ports clés, mais saturés
Le Nigéria dépend fortement de ses ports pour son commerce international, le maritime représentant près de 80 % des échanges. Avec six ports principaux sous la gestion de la Nigerian Ports Authority (NPA) et un port privé à Lekki, le pays dispose d’infrastructures variées. Mais ce sont les ports d’Apapa et de Tin-Can, situés à Lagos, qui concentrent environ 70 % des importations. Ces deux hubs, pourtant essentiels, sont régulièrement submergés par la demande.
En 2023, les ports nigérians ont accueilli 70,47 millions de tonnes de marchandises hors pétrole brut, en baisse par rapport aux 75,27 millions de tonnes de 2022. Côté conteneurs, la situation n’est guère plus reluisante : seulement 1,57 million d’équivalents vingt pieds (EVP) enregistrés, avec une grande majorité de conteneurs vides en exportation, témoignant d’un déséquilibre commercial flagrant. Pire encore, les navires subissent encore des temps d’attente déraisonnables. A Apapa, par exemple, un conteneur peut rester bloqué jusqu’à 30 jours, un délai qui pousse de nombreux opérateurs à se tourner vers des ports voisins comme Cotonou ou Lomé.
Une compétitivité régionale sous pression
Les ports nigérians, malgré leur importance, peinent à rivaliser avec ceux d’autres pays de la région. Lomé, au Togo, a traité 1,9 million d’EVP en 2023, surpassant largement Lagos. Ce n’est pas seulement une question de volumes : les ports togolais et béninois offrent des délais de traitement bien plus courts, ce qui les rend particulièrement attractifs pour les compagnies maritimes. A l’échelle continentale, le Nigéria est encore loin des mastodontes comme Tanger Med au Maroc, qui a enregistré 8,61 millions d’EVP en 2023, ou Port-Saïd en Egypte avec 4,2 millions d’EVP.
Lekki, une lueur d’espoir
Le port en eau profonde de Lekki, inauguré en 2023, incarne l’espoir de désengorger les ports de Lagos et de repositionner le Nigéria sur l’échiquier maritime. Avec une capacité prévue de 2,5 millions d’EVP par an, ce projet colossal de 1,5 milliard de dollars, mené par un consortium sino-indien, se veut le plus moderne du pays. Capable d’accueillir des navires géants de 18 000 EVP, Lekki ambitionne de devenir un hub régional de transbordement. Cela dit, la route reliant Lekki à Lagos est insuffisante pour supporter un trafic de conteneurs massif, limitant ainsi les volumes traités. Les débuts du port sont modestes, avec seulement deux navires par semaine. Pourtant, si ces problèmes d’accès sont résolus, Lekki pourrait devenir un modèle de modernité pour le reste du pays.
Des projets pour transformer le paysage portuaire
Conscient des défis, le Nigéria a lancé une série de projets pour moderniser et étendre ses infrastructures portuaires. En 2024, la NPA a obtenu un prêt de 700 millions de dollars pour réhabiliter les ports d’Apapa et de Tin-Can, avec pour objectif d’augmenter leur profondeur à 14 mètres et d’accueillir des navires plus imposants. Le gouvernement a également relancé le fret ferroviaire reliant Apapa au port sec de Kano, une initiative qui pourrait réduire les engorgements routiers.
D’autres projets, comme le port de Badagry (2,59 milliards de dollars) ou celui d’Ibaka (4,2 milliards de dollars), promettent d’augmenter considérablement les capacités du pays. Ces initiatives, bien que coûteuses, pourraient enfin permettre au Nigéria de concurrencer ses voisins et de réduire sa dépendance aux ports étrangers pour ses importations.
Des freins structurels à surmonter
Mais les infrastructures ne sont qu’une partie du problème. Le Nigéria souffre également d’un environnement des affaires complexe et d’une logistique encore trop inefficace. Les routes menant aux ports sont souvent impraticables, et les liaisons ferroviaires restent rares. La bureaucratie douanière, caractérisée par un faible niveau de digitalisation et des pratiques arbitraires, ajoute des délais inutiles. Par ailleurs, le déséquilibre commercial du Nigéria complique la tâche des armateurs. Les navires qui livrent des marchandises au pays repartent souvent vides, augmentant ainsi les coûts d’importation. Avec des tarifs de fret presque deux fois plus élevés qu’entre la Chine et l’Europe, le commerce avec le Nigéria devient un pari coûteux pour de nombreuses entreprises.