Désobéissance dans la fonction publique : un droit strictement encadré

Personne qui pointe du doigt

Peut-on désobéir en tant que fonctionnaire ? Voilà une question qui fait couler beaucoup d’encre et qui n’a rien d’un simple débat théorique. Entre devoir d’obéissance hiérarchique et responsabilité individuelle, les agents publics se trouvent parfois pris dans des dilemmes éthiques complexes. L’arrêt rendu le 30 octobre 2024 par la Cour administrative d’appel (CAA) de Lyon (n° 23LY00603) apporte un éclairage important sur cette problématique, en précisant les contours du droit à la désobéissance dans la fonction publique. Le point sur le sujet avec Kevin Gomez ! 

Le cadre légal : entre obéissance et exceptions

En vertu des articles L. 121-9 et L. 121-10 du Code général de la fonction publique, les fonctionnaires sont tenus de suivre les instructions de leurs supérieurs. Mais il existe une exception, et elle est de taille : un ordre peut être refusé s’il est manifestement illégal et susceptible de compromettre gravement l’intérêt public. En d’autres termes, la désobéissance n’est pas un droit libre, mais une exception strictement conditionnée.

Ce cadre est renforcé par l’article L. 530-1 du même code, qui prévoit que tout manquement à cette règle peut entraîner une sanction disciplinaire, voire des poursuites pénales. L’objectif est clair : garantir le bon fonctionnement du service public tout en prévenant les abus de pouvoir ou les actes illégaux. Mais comment déterminer ce qui est « manifestement illégal » ? C’est là que les choses se compliquent…

Une affaire révélatrice 

Le cas jugé par la CAA de Lyon en octobre 2024 met parfaitement en lumière la difficulté d’apprécier cette notion. Dans le détail, un fonctionnaire avait refusé de participer à un entretien de recrutement, estimant que le candidat ne possédait pas le diplôme requis pour le poste. A ses yeux, cette situation constituait une illégalité justifiant son refus d’obéir à son supérieur hiérarchique.

Mais la Cour a tranché autrement. Elle a considéré que l’absence de qualification du candidat, bien qu’irrégulière, ne suffisait pas à rendre l’ordre « manifestement illégal ». Selon les juges, une telle irrégularité n’était pas assez flagrante pour compromettre gravement l’intérêt public. Résultat : le fonctionnaire a été reconnu fautif pour manquement à son devoir d’obéissance et soumis à une sanction disciplinaire.

La ligne de crête entre discipline et éthique

Si cette décision montre une chose, c’est bien le fragile équilibre entre discipline hiérarchique et responsabilité individuelle. Un fonctionnaire peut avoir des doutes sur la légalité d’un ordre, mais cela ne lui donne pas carte blanche pour désobéir. La jurisprudence rappelle ici que la désobéissance n’est légitime que dans des cas d’illégalité flagrante, accompagnés de conséquences graves pour l’intérêt public. Une simple irrégularité ou un doute raisonnable ne suffisent pas.

En clair, un agent public confronté à un ordre douteux doit se poser les bonnes questions. L’ordre est-il clairement illégal ? Les conséquences de son exécution mettent-elles réellement en péril l’intérêt public ? Si ces critères ne sont pas remplis, refuser d’obéir peut entraîner des sanctions.

Une protection encadrée pour éviter les abus

Le droit à la désobéissance, tel qu’il est prévu par la loi, vise avant tout à protéger les fonctionnaires dans des situations où l’exécution d’un ordre les placerait en violation manifeste de la légalité. Il ne s’agit donc pas d’un outil pour contester à tout-va les décisions hiérarchiques. L’arrêt de la CAA de Lyon le rappelle avec fermeté : désobéir est un acte exceptionnel, qui ne peut être justifié que dans des cas bien précis.

Mais cette protection, bien que nécessaire, pose aussi des défis. La frontière entre une irrégularité mineure et une illégalité manifeste est souvent floue, laissant les agents face à des choix difficiles. Dans le cas examiné, le fonctionnaire avait probablement agi en pensant défendre une certaine rigueur dans le processus de recrutement. Pourtant, son analyse a été jugée insuffisante pour justifier son refus d’obéissance.

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