Oui, à l’échelle des entreprises (et des individus fortunés), la philanthropie peut résolument changer le monde ! Une nuance toutefois : contrairement à ce que l’on pourrait penser, la philanthropie ne se limite pas aux dons financiers, allant au-delà pour intégrer les terrains du partage de compétences et de la mise à disposition de professionnels qualifiés dans le cadre d’un accompagnement, entre autres. Décryptage !
La philanthropie à la française gagne du terrain
Parlons chiffres : en France, on compte pas moins de 5 300 fondations et fons de dotations, représentant un poids économique de 40 milliards d’euros en 2022, selon une étude menée par l’Observatoire de la Fondation de France. En gros, l’Hexagone est particulièrement généreuse… Mais qui sont les grands mécènes ? Si, sans surprise, ce sont les particuliers qui tiennent le haut du pavé, les entreprises ne sont pas en reste, en montrant une volonté croissante de redonner à la société, en marquant leur empreinte bien au-delà du simple chiffre d’affaires.
Le champ d’action favori de ces bienfaiteurs ? En peu de mots, l’action sociale. En effet, celle-ci mobilise un quart des dépenses philanthropiques des entreprises, et tout y passe : art, culture, santé, éducation… Et signalons tout de même que, de plus en plus, les entreprises mettent à la main dans la poche pour la planète. Quant à la portée des fonds allouées aux diverses causes soutenues par les mécènes, plus de la moitié de ces fondations agit à l’échelle locale.
Mais il faut savoir que ce mouvement de la philanthropie ne s’est pas créé du jour au lendemain. Si, dans les premiers temps, la culture était le principal bénéficiaire de l’élan de générosité des entreprises, les années 1990-2000 ont vu émerger une prise de conscience sociale. Les questions de précarité ont gagné en importance, poussant à une réaction collective. Désormais, avec les défis du changement climatique et l’importance de s’engager localement, les entreprises voient au-delà du profit : elles visent l’impact, ou ce qu’elles aiment appeler l’héritage. Car oui, la philanthropie en France n’est pas qu’une question de dons, elle est intrinsèquement liée à notre tissu social. Et dans cette marche en avant, la France semble bien décidée à montrer la voie…
La philanthropie, une tradition bien américaine
On leur doit l’iPhone, Google, le burger… et la philanthropie ! Si les Etats-Unis ont une longueur d’avance « tendancielle », ils sont aussi pionniers sur le terrain de la philanthropie. En effet, de la salle dorée d’un palace parisien où Largo Winch déclarait sa volonté de soutenir les enfants de guerre, à la vraie histoire des milliardaires américains comme Carnegie et Rockefeller, la philanthropie est profondément enracinée dans la culture américaine.
Aux premières heures des Etats-Unis, la règle du « give back » (redonner) était résolument érigée en vertu, en position morale « salvatrice ». Alexis de Tocqueville, impressionné par l’esprit associatif et philanthropique américain, l’avait d’ailleurs souligné dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique ». Et lorsque la révolution industrielle a pris son élan, des hommes fortunés comme Carnegie, Rockefeller et Ford ont ouvert la voie en versant une partie de leur immense fortune dans des causes charitables.
Andrew Carnegie, pionnier de la philanthropie moderne, croyait fermement à l’éducation et à l’art. Sans surprise donc, il s’est attelé à ériger d’innombrables bibliothèques et des monuments culturels, au premier rang desquels citons le fameux Carnegie Hall. John Rockefeller, de son côté, a soutenu la recherche scientifique, finançant des institutions qui, à ce jour, demeurent de véritables piliers de la science.
Pour autant, ces actes en apparence vertueux voyaient planer sur eux des accusations de « social washing ». Louable, la philanthropie l’est sans l’ombre d’un doute. Mais elle ne peut faire oublier les méthodes, peut-être impitoyables, par lesquelles ces grands mécènes américains avaient amassé leur fortune. Cela dit, leur héritage philanthropique persiste, résiste à l’épreuve du temps.
Plus près de nous, des figures contemporaines comme Bill Gates et Warren Buffett s’inspirent des références d’antan, promettant d’énormes portions de leurs fortunes à des causes altruistes. Gates, par exemple, s’est engagé à donner 95 % de sa fortune pour combattre les maladies et l’analphabétisme, tandis que Buffett a déjà versé des milliards à diverses œuvres caritatives.
Mécénat d’entreprise : en France, on connaît !
C’est à la fin années 1970 qu’on a vu émerger le mécénat d’entreprise en France, marquant une évolution majeure dans le paysage philanthropique du pays. Alors qu’il était initialement centré sur la culture, ce type de mécénat s’est progressivement étendu à d’autres secteurs…
Bien que la générosité sans contrepartie financière ait vu le jour au XVIIIe siècle, c’est véritablement à la fin du XXe siècle que les entreprises se sont pleinement lancées dans cette aventure philanthropique. Les termes « philanthropie » et « mécénat » sont souvent employés indistinctement, mais en France, le second évoque surtout les contributions des entreprises. Et en reconnaissance de l’importance du mécénat, l’Hexagone n’a pas tardé à mettre en place une fiscalité incitative pour encourager la pratique, ce qui a indéniablement contribué à son essor.
Mais il faut signaler qu’historiquement, le mécénat en France a toujours été marqué par un esprit de paternalisme. Des industriels, soucieux du bien-être de leurs ouvriers, ont financé des infrastructures comme des crèches ou des hôpitaux. Ce fut notamment le cas de Michelin et Cognacq-Jay, deux figures emblématiques qui incarnent cette générosité « paternaliste ». Mais au début du XXe siècle, le mécénat étant encore à son état embryonnaire, la responsabilité des missions d’intérêt général était largement l’apanage de l’Etat et des associations.
Revenons un instant à la fin des années 1970… A cette époque, nombreuses étaient les entreprises qui s’interrogeaient sur leur rôle social/sociétal. C’est ainsi qu’une large proportion a commencé à envisager son impact au-delà du prisme de l’activité commerciale. Des philanthropes résolument influents, comme Marc Ladreit de Lacharrière, ou encore Jacques Rigaud, se sont alors engagés (et milités !) pour un mécénat centré sur la culture, à l’heure où d’autres voyaient le mécénat comme un levier d’amélioration d’image pour l’entreprise.
Tournants législatifs, ou quand le gouvernement donne le « la » à la philanthropie
Parlons un peu des tournants législatifs du mécénat en France, et voyons comment ils ont propulsé la philanthropie d’entreprise au-devant de la scène. Tout commence avec Admical, cette association influente qui s’est battue bec et ongles pour faire entendre la voix du mécénat. Et ça a fini par payer… En 1987, coup d’éclat : le ministre de la Culture de l’époque, François Léotard, annonce la loi sur le développement du mécénat, qui reconnaît non seulement l’intérêt général de la philanthropie d’entreprise, mais introduit aussi des incitations fiscales particulièrement alléchantes. Et trois ans plus tard, une autre loi vient offrir aux entreprises le droit de nommer des fondations à leur nom.
Résultat des courses ? Le mécénat, qui était surtout le terrain de jeu des filiales américaines et des banques françaises, fait son entrée dans les grandes entreprises hexagonales. Qui plus est, les sociétés créent des postes dédiés à temps plein pour gérer leurs fondations. Mais c’est loin d’être uniquement une question de prestige… Le mécénat s’attaque à des problèmes de fond, au premier rang desquels la pauvreté, l’exclusion sociale ou encore le handicap. Et là, c’est toute une dynamique qui se met en place : rapprochement avec les ONG, lancement d’appels à projets, et même mise à disposition de salariés pour aider des associations. C’est ce qu’on appelle le mécénat de compétences, une brillante idée qui se propage comme une traînée de poudre.
Et puis, nouvelle année, nouveau bouleversement : en 2003, les entreprises mécènes voient leurs avantages fiscaux doubler ! Cinq ans plus tard, la loi de modernisation de l’économie offre un autre cadeau : le fonds de dotation. Cette nouvelle aubaine propulse le nombre d’entreprises mécènes à des niveaux stratosphériques. Pour vous donner un ordre d’idée, en 2010, on comptait 28 174 entreprises généreuses en France. En 2020, ce chiffre est passé à 104 756, avec des montants qui donnent le tournis : de 984 millions d’euros à, tenez-vous bien, 2,3 milliards d’euros !
L’engagement des entreprises prend un nouveau tournant avec la RSE
On pourrait penser que le mécénat, avec son lustre et son historique, est la star incontestée de l’engagement d’entreprise. Et pourtant, aujourd’hui, il se voit « secoué » par un vent de nouveauté. Et ce vent de nouveauté porte un nom : la Responsabilité Sociale des Entreprises, ou RSE. Si bien que désormais, tout outil formidable qu’il puisse être, le mécénat n’est plus le seul joueur sur le terrain.
On vous le dit tout de suite, la société est en pleine mutation. Les citoyens, de plus en plus attentifs et exigeants, veulent que les entreprises soient pleinement transparentes, pleinement cohérentes. Fini le temps où l’on pouvait se permettre de polluer par-ci et de donner un petit chèque caritatif par-là. En bref, les consommateurs veulent du concret, de l’authenticité. Ils scrutent les actions des entreprises à la loupe et attendent d’elles qu’elles fassent vraiment une différence. Et là, la RSE entre en jeu comme le nouveau super-héros de l’engagement. Contrairement au mécénat, qui peut parfois être perçu comme un simple « pansement » apposé sur des problèmes plus profonds, la RSE exige une intégration complète des préoccupations sociales, environnementales et économiques dans les activités quotidiennes des entreprises. C’est une véritable révolution !
Dans ce contexte, les entreprises ne sont plus seulement des entités profitables, mais des acteurs sociaux à part entière, profondément ancrées dans leur territoire et en quête d’un impact positif. Le paysage entrepreneurial est en effervescence : de plus en plus d’entrepreneurs cherchent à avoir un impact réel et à œuvrer pour le bien commun. Mais ne vous y trompez pas… Le mécénat reste un outil puissant, permettant de soutenir des causes qui ne génèrent pas forcément de profits. Cela dit, la philanthropie doit évoluer dans son ensemble pour répondre à cette nouvelle demande sociale. La RSE est donc une aubaine, un tremplin vers un monde où entreprises et sociétés progressent main dans la main vers un futur plus juste et durable.