Et si le monde équestre, si souvent perçu comme figé dans ses traditions, tenait enfin sa mue ? Et si, au lieu de résister, il décidait de s’interroger, de s’adapter, et de se réinventer ? Face aux urgences climatiques, aux questionnements sociétaux et aux aspirations nouvelles des cavaliers comme des citoyens, le cheval devient le point de départ d’une réflexion bien plus large… celle d’un lien à la fois ancestral et fragile qu’il est grand temps de rééquilibrer.
A l’ombre des carrières arrosées à l’excès, des paddocks de compétition standardisés et des écuries saturées de plastique, une autre équitation s’invente. Moins ostentatoire, moins mécanique, et surtout plus connectée à l’essentiel, à savoir le vivant, dans toutes ses nuances. Un vent de réforme qui touche aussi bien les pratiques sportives que l’hébergement, l’alimentation, la formation, les infrastructures ou encore les usages technologiques. Décryptage !
Du cheval outil au cheval partenaire
Il y a encore quelques décennies, parler de bien-être équin dans les milieux sportifs relevait de la posture marginale. Aujourd’hui, le paradigme s’est inversé. De nombreux professionnels, à l’instar de la cavalière Marie-Charlotte Fuss, montrent qu’on peut conjuguer performance et respect de l’animal. Elle a fait des écuries actives, où les chevaux évoluent en liberté dans des groupes sociaux stables, un modèle d’équilibre compatible avec les exigences du haut niveau.
Même dans les disciplines les plus traditionnelles, les lignes bougent. Jean-Luc Force, ancien cavalier international devenu conseiller technique fédéral, s’ouvre désormais aux approches dites « alternatives », comme la communication animale. Si les preuves scientifiques manquent parfois, l’intention est là : mieux comprendre l’animal, sans brutalité ni domination. C’est aussi ce que propose la vétérinaire britannique Sue Dyson, à travers un questionnaire permettant de repérer précocement les signes de mal-être chez le cheval. Une tentative de poser un cadre rationnel à une problématique longtemps ignorée.
Un écosystème à réinventer
Mais la réflexion ne s’arrête pas aux box et aux paddocks… L’écosystème entier du monde équestre est scruté, repensé, redessiné, à commencer par les infrastructures. Face à l’urgence environnementale, des structures comme le Domaine équestre des Grilles ont décidé de réduire leur empreinte carbone en construisant des concours plus sobres, à l’image du « green cross », concept pionnier de compétition écoresponsable. La question des déchets suit la même logique. Le projet Val’fumier, initié par l’IFCE, vise à créer des filières durables de valorisation du fumier équin, un résidu longtemps négligé. Dans la même veine, Recycl’Horse offre une seconde vie aux textiles équestres tout en soutenant la SPA. Preuve que recyclage et solidarité peuvent cohabiter dans la filière.
Même les grandes écoles du secteur s’engagent. A l’Ecole militaire d’équitation de Fontainebleau, la tradition se mêle à la transition, avec la transmission d’un savoir-faire rare, celui de l’entretien du cuir, matière critiquée mais encore irremplaçable pour les artisans selliers.
Quand les acteurs du monde équestre se font visionnaires
Il est utile ici de rappeler que ce mouvement de fond ne vient pas d’une impulsion isolée, il résulte d’un éveil collectif où les acteurs du monde équestre, tous horizons confondus, prennent position. Cavaliers, éleveurs, artisans, assureurs, vétérinaires, ingénieurs, enseignants… chacun, à son niveau, invente une autre voie. Chez Tacante et Aravolte, deux marques textiles aux antipodes du greenwashing, on mise sur des matériaux certifiés, des circuits courts et des modèles réduisant les déchets. Du côté de Hit-Air France, on parie sur le recyclage des cartouches d’airbag, une démarche pragmatique et concrète qui bouscule les standards d’un secteur souvent peu scrupuleux sur la fin de vie des produits.
Sur le terrain, certains vont encore plus loin. Aline Barrois, fondatrice des écuries du Pélin, nourrit ses chevaux avec des céréales bio produites localement, dans un cercle vertueux qui associe respect animal, biodiversité et autonomie alimentaire. Une démarche que Vincent Blanchard, éleveur et cavalier, pousse encore plus loin en construisant une structure alimentée par des énergies renouvelables, sans jamais sacrifier la rigueur sportive.
Le cheval, révélateur de nos choix de société
Mais repenser le monde équestre, c’est aussi reconnaître que le cheval est un puissant miroir de notre rapport au vivant. Et parfois, il révèle nos propres dérives. Dans un monde toujours plus rapide, technologique, artificiel, certains rêvent d’une relation authentique avec l’animal. D’une équitation de lien, pas de domination. Des structures comme Adapt’Equit ou les écuries d’Eurojump l’ont bien compris. Le cheval y devient médiateur, outil de reconstruction pour des jeunes en rupture, des réfugiés, des personnes en souffrance. Une passerelle vers une dignité retrouvée. Une main tendue, réciproque, entre l’humain et l’animal.
Ces histoires ne relèvent pas de la fable, mais de la réalité quotidienne de ces lieux où l’équitation soigne les blessures sociales autant que physiques. Là encore, le monde du cheval démontre qu’il peut être un terrain d’inclusion, de solidarité, voire de résilience.
Technologie et tradition : un mariage d’avenir
On aurait pu croire que les innovations numériques s’opposeraient à cette quête de retour à l’essentiel. Il n’en est rien. Portées par des startups ou des instituts publics comme l’IFCE, de nombreuses solutions technologiques visent à améliorer le bien-être équin. Des applications comme Cheval Bien-Être permettent d’identifier les signes de souffrance, d’optimiser l’alimentation ou de suivre les performances sans intrusivité. A terme, certaines envisagent même d’évaluer l’état émotionnel d’un cheval via l’analyse d’images. Utopique ? Peut-être. Mais révélateur d’une volonté nouvelle, celle de mettre la tech au service du vivant, et non l’inverse.
La logistique elle aussi entame sa révolution. La question des transports, principale source d’émissions de CO₂ dans la filière, pousse les constructeurs à imaginer des camions hybrides ou électriques. Une avancée majeure, notamment pour les compétitions, où les allers-retours incessants deviennent insoutenables à l’échelle environnementale.
Les assureurs emboîtent le pas, à l’instar de Cavalassur qui innove avec le tiers payant.
Un avenir encore incertain, mais porteur
Alors, quel avenir pour notre relation avec les chevaux ? Sera-t-elle balayée par la vague animaliste, accusée de domination et d’exploitation ? Ou saura-t-elle renaître dans une forme plus équilibrée, plus consciente, plus respectueuse ? Tout dépend de la capacité du milieu équestre à se remettre en question, à sortir des carcans, des dogmes et des pratiques archaïques. A cesser de confondre tradition et inertie, à écouter, enfin, ce que le cheval a à dire – dans son silence, dans ses regards, dans ses postures.